Sainte Quitterie étoit fille de parens idolâtres et riches, de la ville de Rome, fon père s’appeloit Cajus-Attilius-Severus Conful : et fa mère Califa-Attilius fut envoyé gouverneur des Provinces de Galice et de Portugal en Espagne, vers l’an 167, par les empereurs Antonin, Aurele et Comode qui régnoient enfemble : pendant qu’Attilius étoit en Galice avec fa femme, dans la ville nommée Belcagie, qu’on appelle à préfent Bayonne, la Dame Califa devient enceinte ; cependant Attilius s’en alla vifiter fon gouvernement et pendant fon abfence Califa accoucha de neuf filles ; de cette feule groffeffe ; elle fut épouvantée de cette fécondité extraordinaire ; & craignant l’humeur farouche & l’avarice de fon mari, qui pourroit fe porter à quelque extrémité contre’elle & les enfans ; elle prit la réfolution barbare de les faire périr ; & pour cela, elle engagea la sage-femme qui étoit Chrétienne de les fuffoquer ou les noyer, & lui promit des récompenfes pour faire cette action & garder le fecret.La sage-femme lui dit qu’il valoit mieux les jetter dans une rivière afin de cacher fon deffein : elle mit ces enfans dans un panier bien couvert & s’en alla dans un Faux-bourg, non loin de la Ville ; où il y avoit des familles Chrétiennes de fa connoiffance ; entra fecrètement dans une maifon où elle étoit familière, & dit à la femme du logis, le cas qui fe préfentoit, pour exercer un acte de charité envers ces neufs fœurs ; d’abord, la Maîtreffe fit venir d’autres femmes Chrétiennes, qui furent charmées de cette occafion, que Dieu leur fourniffoit d’excercer des actes de charité corporelle & fpirituelle envers le prochain ; c’eft pourquoi elles fe chargerent de ces enfans avec plaifir pour l’amour de Dieu.
Après que la Sage-femme eût mis les neufs filles en fureté, elle fe retira promptement au logis de la Dame Califa ; lui dit que fes ordres étoient exécutés, qu’elle avoit noyé ces filles adroitement, dans le plus grand fecret, que tout étoit fini.
Cependant les nourrices charitables chargées de ces enfans, allaiterent ces filles & les firent Baptitifer pour affurer leur falut. La première fut nommée Geneviefve, la feconde Marianne, la troifième Germaine, la quatrième Baziliffe, la cinquième Victoire, la fixième Eumelle, la feptième Gemme, la huitième Quiterie & la neuvième Liberatae.
Les Chrétiens chargés de ces filles, les élèverent dans la Doctrine Chrétienne, les fortifierent dans la Foi ; dans la Religion & dans la Piété ; enforte qu’elles étoient fort éclairées dans la Foi à l’âge le plus tendre ; & leur apprirent à travailler, ces fidelles les inftruifirent en même-temps de leur naiffance & de la réfolution barbare de leur mère ; & de la charité de leur sage-femme qui leur avoit fauvé la vie du corps & de l’âme, en leur procurant le bonheur éternel, auffi elles n’avoient d’autre deffein que de parvenir à ce bonheur ; elles croiffoient en âge & en fageffe, travailloient aux occupations manuelles de leur fexe, ce qui leur attiroit l’eftime & l’amitié des Fidelles Chrétiens de ce pays.
Lorfqu’elles furent âgées d’environ quatorze ans, les Empereurs renouvellerent la perfécusion contre les Chrétiens dans l’Empire romain, ayant donné des ordres févères pour obliger les Chrétiens d’adopter le Culte des Idoles & renoncer à la Religion Chrétienne ; Attilius ayant reçu ces ordres, ordonna de les exécuter dans fon Gouvernement.
Alors les Chrétiens furent affligés & obligés de fe difperfer, & fe cacher de côté & d’autre pour éviter la perfécution & la mort, les neuf filles fuivirent les autres ; mais elles furent arrêtées dans leur fuite par des Soldats qui les conduifirent devant Attilius, qui, sans les connoître, les interrogea fur leur pays, fur leur naiffance & religion.
Elles répondirent avec fermeté & avec refpect, puifque vous nous demandez, notre origine, nous croyons être vos filles & nous fommes Chrétiennes. & lui porterent les raifons & les preuves de cet évènement, les Chrétiens qui les avoient nourries & la Safe-femme furent entendus & en rendirent témoignage, mais Attilius en doutoit encore, jufqu’à ce qu’il eût entendu la Dame Califa fon époufe, qui confirma le fait avec honte & confufion.
Pour lors, Attilius penfa plus à la qualité de père, qu’à celle de Juge, & n’ayant pas eu d’autres enfans de fa femme, fut charmé d’avoir neuf filles, belles, bien faites, bien élevées, aimables & remplies d’efprit, âgées de quatorze ans, fans qu’il ne lui en eût rien couté ; il les embraffa avec tendreffe ainfi que la mère, qui fut bien aife que la Sage-femme leur eût fauvé la vie.
Le père & la mère les carefferent & les garderent dans la maifon, leur donnerent d’autres filles, de condition pour compagnie ; le père leur parloit de temps en temps de leur Religion & tâchoit de les détourner du Culte du vrai Dieu, leur difant que la Religion Chrétienne étoit une fuperftition odieuse & méprifée dans tout l’Empire, furtout par les gens d’efprit ; qu’il falloit embraffer le Culte des Idoles adopté dans l’Empire romain que lui & leur mère avoient toujours gardé le Culte des Idoles, que cela feroit le moyen d’avoir des établiffemens honorables dans le monde.
Mais les filles furent inflexibles aux difcours de leur père, voulant tenir toujours les promeffes qu’elles avoient fait à Dieu dans le Baptême, & être fidelles à la Foi de Jéfus-Chrift que de fuivre les confeils trompeurs de leurs parens qui cherchoient à les égarer.
Le père voyant qu’elles étoient fermes, leur fit quelques propofitions dures ; pour lors ces filles craignirent qu’Attilius ne fe portât à quelque extrémité pour les forcer à renoncer à la Foi, & comme elles couchoient dans une même chambre, elles faifoient leurs prières en commun & fupplierent le Seigneur de les foutenir dans la Foi, & ne pas permettre qu’elles fuffent exposées à s’éloigner de fon Culte & de fon amour.
Dieu exauça leur Prière, & leur envoya un Ange pour les fortifier, l’Ange leur confeilla de quitter la maifon paternelle, ou leur falut étoit en danger, & fe difperfer en divres pays, pour fortifier les Chrétiens ; que la divine providence veilleroit fur elles ; cette nuit même elles échapperent de la maifon, & fe dirent un adieu réciproque verfant des larmes, n’efpérant plus de fe revoir dans ce monde, & chacune prit fon chemin & s’en allerent fous la garde de Dieu.
Sainte Quiterie prit la route de Tolede dans la Caftille, où elle demeura quelque-temps, menant une vie Angélique, & elle y convertit beaucoup de gens par fes paroles & fon exemple, fe fortifiant toujours dans l’amour de Dieu.
Quelque-temps après elle quitta ce lieu & s’en alla dans une grote de la Montagne d’Oria, pour vaquer plus tranquillement aux exercices de piété, où elle vivoit de racines, d’herbes & de fruits fauvages qui croiffoient en cette Montagne, la terre étoit fon lit fur quelques feuillages qu’elle avoit ramaffés, de-là, elles defcendoit quelquefois aux hameaux pour convertir des gens par fon éloquence & par fes vertus admirables.
Enfuite un Ange lui apparut & lui confeilla de retourner à la maifon de fon père, étant alors affez affermie dans la Foi. Elle obéit & fon père fut charmée de la revoir ; croyant qu’elle auroit changé de fentiment ; il lui propofa en mariage un Seigneur très-riche nommé Germain ; mais elle pria fon père de l’excufer fi elle ne pouvoit accepter ce parti ; qu’elle avoit donné fa parole à un autre Seigneur plus riche que Germain, auquel elle avoit donné fa parole & vouloit tenir fa promeffe.
Attilius voulut fçavoir qui étoit celui auquel elle avoit donné fa foi & l’époufer ; Quiterie lui répondit : c’eft Jéfus-Chrift unique Dieu tout-puiffant, maître du Ciel & et de la Terre, auquel j’ai donné ma foi & mes promeffes, je ne lui ferai jamais infidelle, quand même je devrois mourir de la mort la plus cruelle & la plus honteufe.
Cependant, le père ne fe rebuta point, lui parla avec amitié, penfant de la ramener à fa volonté, la mère de fon côté employa les careffes & les promeffes de biens & d’honneur, mais tout fut inutile.
Enfin le père la menaça de la faire fouffrir, fi elle ne fe rendoit à fa volonté, & la fit mettre en prifon, & ordonna de lui mettre les fers, alors elle dit aux Gardes de ne point la toucher qu’elle iroit en prifon fans la tenir, étant à la porte de la prifon elle dit ; oh prifon heurefe, il y a long-temps que je défirois de te pofféder, pour y être feule avec mon Dieu, on la mit aux fers dans un cachot, où elle chanta un Cantique au Seigneur, la nuit fuivante elle fut vifitée par un Ange, & le lieu devint lumineux & une Croix figurée au milieu de la clarté ; la Sainte fe profterna devant la Croix ; enfin l’Ange la confola & lui ouvrit les portes, fes chaînes tomberent & elle fortit, & s’en alla dans la Province d’Aufragie.
Etant dans la ville d’Aufragie, Quiterie fut reconnue par les Soldats d’Attilius, qui la ramenerent chez fon père qui la fit garder dans fa maifon attendant que Germain fut arrivé pour l’époufer ; on lui donna trente filles & huit jeunes-hommes pour la garder, & lui faire compagnie & l’engager à quitter la Religion. Mais bien loin de la féduire & la détourner de la Foi Chrétienne, elle les convertit tous à Dieu, & tous fortirent enfemble pendant la nuit & s’en allerent vers le pays d’Aufragie, où elle fit plufieurs miracles & convertit bien de gens ; entr’autres un Seigneur nommé Lucien Apoftat, qui ayant fait arrêter Quiterie avec ceux qui étoient avec elle, leur demanda ce qu’ils venoient faire dans fon pays.
La Sainte lui répondit, je n’ai à vous dire, fi non, que fi vous ne faites pénitence de votre infidélité & de votre apoftafie & revenir à Dieu, le Démon attend votre ame pour la conduire dans l’Enfer, & c’eft Dieu qui m’a infpiré de venir ici pour vous convertir.
Lucien piqué de ces paroles, les fit mettre en prifon ; où tous fe mirent en prière pendant la nuit fuivante. Dieu écouta leur prière & leur envoya un Ange qui remplit le lieu d’une lumière éclatante, dont les Gardes furent effrayés & fe convertirent, de quoi Lucien étant inftruit, fit venir la Ste devant lui ; elle lui parla avec fermeté. Lucien fe converit & recouvra la vue par les Prières de Ste-Quiterie, l’ayant perdue étant Apoftat, qui lui confeilla de renoncer aux Idoles, de faire des charités & autres bonnes œuvres, ce qu’il exécuta fidellement.
La Sainte ayant appris par infpiration divine que Germain la cherchoit pour la ramener chez fon père pour l’époufer, elle s’en alla avec les Chrétiens qui la fuivoient fur une Montagne ; où étant arrivés fur un rocher, très-fatigués & accablés de foif, ils fe mirent en prière, & Dieu fit un miracle pour leur fournir de l’eau, faifait fortir une fontaine du rocher, qu’on y voit encore ; tous furent raffafiés de cette eau, puis remecierent le Tout-Puiffant de cette merveille, & prierent le Seigneur de conferver à jamais cette fontaine, auffi on n’a jamais vu qu’elle ait manqué d’eau, au contraire l’eau augmente depuis la veille de la Fête de Ste-Quiterie, jufques à ce qu’elle eft finie pendant vint-quatre heures, puis elle revient dans fon premier état ; c’eft pourquoi les habitans du pays, l’appellent fontaine de falut, parce qu’il s’y fait des miracles.
Bientôt après Quiterie fe fépara de cette troupe de Chrétiens, qui la fuivoient, & prit fa route vers les Gaules. Ayant paffé les Monts-Pyrénées, elle s’arrêta quelque-temps en Béarn dans un défert, où eft à préfent le Village de Domy, où les Fidelles ont bâti dans la fuite un Oratoire en fon honneur, pour folemnifer fa mémoire. Il fort une fontaine de deffous l’Autel, qui coule en dehors vers le midi, dont l’eau a fait beaucoup de miracles, par la vertu que Dieu y a attaché & par l’interceffion de Sainte Quiterie, autrefois cette Chapelle étoit célèvre par le concours des Fidelles qui s’y rendoient le jour de la Fête, & les Paroiffes voifines y alloient en Proceffion, mais on les a défendues à caufe du peu de refpect qu’on avoit pour ce St. lieu, qui tournoit au mépris de la Religion.
Enfuite la Sainte étant fortie de ce lieu, s’en alla vers la ville d’Aire dans la Novempopulanie, qui dépendoit auffi de l’Empire Romain, où l’on préfécutoit auffi les Chrétiens, elle y fut arrêtée & on lui trancha la tête ; les Fidelles l’enfevélirent honnorablement.
Sur quoi les Efpagnols fe trompent en difant qu’elle fut condamnée par fon père, d’avoir la tête tranchée, ils avancent cela fans aucune preuve. Mais Alfonfe, Vilegas & autres Auteurs véridiques foutiennent que Ste. Quiterie ayant paffé dans les Gaules, elle fouffrit le martyre dans la Novempopulanie, au Diocèfe d’Aire, que les Auteurs latins appellent Adurenfis : & les Efpagnols Adure ; il prouve fa prétention :
1°. Par la Pierre Sépulchrale qui eft fut le tombeau de Ste. Quiterie, qu’on voit encore dans d’Eglife de St. Pierre appartenant aux Religieux de St. Benoit.
2°. Par la Fontaine miraculeufe qui fait tous les ans l’admiration du peuple, qui va en concours à la Fête de la Sainte en dévotion.
3°. Par les guérifons que Dieu y a opéré, & autres circonftances qui fe vérifient à la lettre avec les Villes du pays, enforte qu’il n’y a aucun doute, que l’opinion de Vilegas eft la plus affurée & préférable à toute autre.
On regarde en Efpagne Ste. Quiterie comme l’Avocate de ceux qui font attaqués de la rage, & croyent qu’en fe lavant dans l’eau de la Fontaine où eft l’oratoire en fon honneur, & des neuvaines qu’on y fait, ils guériffent ou en font préfervés.
Enfin la vie de Ste. Quiterie eft un modèle de vertus, elle travailloit, elle méditoit, prioit, jeûnoit & fe mortifioit, pour imiter les fouffrances du Sauveur, auffi elle fût un Difciple fidelle de ce divin Rédempteur, & mérita le don de faire des miracles, & des guérifons furprenantes, elle portoit dans fon cœur la Croix fur laquelle le Sauveur avoit verfé fon Sang pour les pécheurs, fon humilité éminente, fa charité & fon amour pour Dieu, lui ont mérité le bonheur éternel, & la couronne du martyre, l’a mife au rang des Saints qui ont verfé leur fang pour Jefus-Chrift, plaife au Seigneur que nous puiffions l’imiter en fes vertus pour arriver au même bonheur. Ainfi foit-il