Documents sur sainte QUITTERIE

L’Histoire de Sainte Quitterie qui est vénérée à Doumy

Qui n’a entendu poser la question : Sainte Quitterie a-t-elle existé ?

Cette formule sceptique insinue un doute qui voudrait entraîner la suppression d’un culte millénaire et s’attaque à nos habitudes de foi et de piété.

A tous ceux qui veulent faire table rase du passé et de la tradition, un historien de renom réserve la réponse suivante « Le doute ne suffit pas, il faut une bien grande prudence pour toucher à ce qui existe depuis un grand nombre de siècles ».

Que savons-nous de Sainte Quitterie en dehors des nombreuses « légendes » anciennes ? (Notons que « Légende » veut dire initialement : Choses à lire. Récit abrégé de la vie d’un Saint, d’un Martyr).

Saint Grégoire de Tours, par qui nous connaissons l’histoire des temps Mérovingiens et en particulier l’histoire de Clovis ; Grégoire de Tours, dont les découverte modernes ont confirmé bien des fois l’enseignement, se proposait d’écrire l’histoire de Sainte Quitterie dans un des ouvrages qu’il composait à la gloire des saints de son époque. Il insérait le nom de la Sainte dans une série de quatre titres de chapitres : chap. 105 Tétricus, évêque ; chap. 106, St Orens, évêque d’Auch ; chap. 107 Sainte Quitterie, vierge ; chap. 108, Saint Paulin, évêque – St Grégoire de Tours se proposait d’écrire la vie de ces quatre personnages, et le chap. 107 devait être consacré à notre Sainte. Si l’historien n’a laissé que quatre noms, c’est qu’il n’était pas parvenu à réunir la documentation nécessaire ou que sa mort survient avant qu’il ait pu procéder à la rédaction des chapitres annoncés.

Ce texte précieux, officiel, indiscutable est la preuve certaine qu’à la fin du VIe siècle on connaissait l’existence de Sainte Quitterie.

De plus ce texte nous fournit l’indication de l’époque à laquelle vécut notre Sainte. Les noms qui accompagnent celui de Ste Quitterie sont tous du Ve siècle. Le titre de « Quitterie, vierge » laissé après celui de St Orens d’Auch et avant celui de St Paulin de Périgueux, place plus que probablement notre Sainte à la même époque.

Il n’y a pas lieu de s’étonner que Grégoire de Tours ait accordé son attention à une Sainte de chez nous, il connaissait notre région. C’est aux confins d’Aire qu’il place le miracle des trois tombeaux que l’on identifie avec ceux de la crypte du Mas d’Aire. De plus, au partage des fils de Clovis, en 567, Aire revint à Sigebert, roi d’Austrasie ; or, nous le savons Grégoire de Trous était en rapports fréquents avec la cour d’Austrasie, il lui fut ainsi facile de connaître l’histoire de Quitterie, la vierge d’Aire.

Nous plaçons la vie de Ste Quitterie au Ve siècle, le siècle de Clovis. A cette époque la province d’Aire se trouvait sous le pouvoir d’un peuple envahisseur : les Wisigoths, qui venus d’Espagne en 419 établirent leur domination au Nord des Pyrénées et firent de Toulouse leur capitale, et y résidèrent même par moments. Ces princes wisigoths professaient l’hérésie arienne et persécutèrent les chrétiens orthodoxes. Leur royaume dura près d’un siècle, jusqu’à la bataille de Vouillé, gagnée par Clovis et ses Francs en 507.

C’est pendant cette période de la domination des Wisigoths sur nos contrées qu’on doit placer le martyre de Sainte Quitterie que le martyrologe mentionne le 22 Mai. D’après les leçons du bréviaire diocésain et les traditions de l’église d’Aire, Quitterie (forme féminine du nom de Witéric porté par quelques princes wisigoths, et par un de leurs rois) fille de sang royal, élevée dans la foi romaine à l’insu de ses parents avait voué à Dieu sa virginité.

Sommée par son père d’accepter en mariage un prince arien comme lui, Quitterie refusa cette alliance. Devant la colère de son père elle s’enfuit de Toulouse, où résidait la cour et se dirigea vers Aire. (La ligne étroite est un chemin qu’empruntent rarement les fugitifs qui cherchent à dépister les poursuivants. Notre Sainte fit-elle quelques crochets et vint-elle résider « dans le désert de Domy » comme le disent les vieux textes, voire dans la région, qui peut empêcher notre piété de le supposer ?). Toujours est-il que poursuivie et atteinte par son prétendant, elle fut jugée et condamnée à mort en la cité d’Aire ; elle eut la tête tranchée, à l’endroit désigné sous le nom de Castet d’Alaric (Alaric roi Wisigoth 485-507). Une fontaine, aujourd’hui murée, jaillit à l’endroit où sa tête toucha le sol. Un miracle plus éclatant encore rendit glorieux ce martyre. La vierge prenant sa tête entre ses mains la porta à la distance d’environ 200 mètres et la déposa dans l’oratoire de St Pierre, où son corps fut enseveli. Le sarcophage de marbre qui se trouve dans l’église du mas d’Aire est considéré par une tradition plusieurs fois séculaire comme le tombeau où ses restes furent déposés.

Après la chute du royaume Wisigoth le souvenir de Quitterie resta vivant dans le pays. L’insertion de son nom dans l’ouvrage de Grégoire de Tours en est une preuve. Sans doute un culte s’établit autour de son tombeau auprès duquel fleurissaient les miracles. C’était l’usage à cette époque de canoniser les pieux personnages dont le tombeau était illustré par des miracles. Quitterie prit rang dans le martyrologe, ses ossements furent placés dans une châsse pour les présenter à la vénération des fidèles.

C’est tout ce que l’on peut dire sur les origines du culte de notre Sainte, car les documents font défaut. N’en soyons pas surpris, songeons que du VIIe au IXe siècle, Aire eut à subir le choc des invasions Sarrazines et Normandes, et l’on comprend que les vieux parchemins qui pouvaient constituer les archives aient disparu dans le pillage général.

Le culte de Sainte Quitterie reprit au XIe siècle lorsque les moines de la Chaise-Dieu en Auvergne vinrent fonder à Aire le monastère de Sainte Quitterie. Sur le tombeau miraculeusement découvert au IXe ou Xe siècle, ils édifièrent une église romane dont le chœur et la chapelle absidiale, côté-Nord, restent les principaux vestiges.

L’abbaye du Mas passa assez vite sous le contrôle direct de l’évêque d’Aire, qui prit alors le titre d’évêque d’Aire et de Sainte Quitterie du Mas ; à partir de cette époque l’Evêque, avant de prendre possession de son siège, devait prêter serment sur le tombeau de Sainte Quitterie.

En 1228 un violent incendie détruisit l’église romane ; on était alors sous la domination Anglaise et on dut avoir recours à Edouard 1er, roi d’Angleterre, pour reconstruire l’église et le monastère.

Le culte de Sainte Quitterie était alors en plein essor.

En 1242, la Reine d’Angleterre demande qu’on lui porte à Bordeaux les reliques de Sainte Quitterie qui furent vénérées dans la Cathédrale. Dans une lettre de l’Evêque d’Aire au roi d’Angleterre, datée de 1275, nous lisons que, par les mérites de la Sainte, de nombreux miracles s’opèrent.

A la suite de cette lettre, Henri III, père d’Edouard 1er, roi d’Angleterre, est venu vénérer le tombeau de Sainte Quitterie dans l’église du Mas.

La renommée de l’église du Mas d’Aire était telle, qu’elle retint l’attention non seulement des rois et des seigneurs, mais aussi celle des Papes. En 1399 Clément V s’exprime ainsi en attirant l’attention des fidèles sur l’église du Mas. « Au diocèse d’Aire, se trouve le monastère de Ste Quitterie. En ce lieu, le Seigneur opère des miracles nombreux et la piété y achemine des pèlerins venus des points les plus divers du monde. »

En 1317, le Pape Jean XXII, accorde des indulgences en faveur de l’église du Mas.

En 1436, après un nouvel incendie, le Pape Eugène III accorde des indulgences à tous les bienfaiteurs qui aideraient à « la reconstruction du monastère renommé où sont conservées les reliques de plusieurs saints et où repose le corps vénérable de la bienheureuse Quitterie ».

Aux « dénicheurs de saints » qu’il nous soit permis de rappeler ces paroles de l’Imitation : « Celui qui méprise un des moindres de mes saints n’honore pas le plus grand ; et celui qui dégrade quelqu’un de mes saints, me dégrade moi-même et tous les autres qui sont dans le royaume des cieux… Que les hommes charnels et terrestres, qui ne savent aimer que leur satisfaction particulière, cessent donc de discourir sur l’état des saints. Ils en retranchent selon leur inclination, et non selon la règle de l’éternelle vie… ».

Nous ne savons que peu de choses sur les origines de notre chapelle. Les vieux textes rapportent qu’à Doumy, où une chapelle avait été bâtie sur la source elle-même, la fête du 22 Mai attirait un grand concours de pèlerins, au 18e siècle ; mais l’assemblée religieuse ayant dégénéré « en une foire », Mgr. Hardouin de Châlon (« évêque de Lescar 1729-1763), jeta « l’interdit sur la chapelle, pour arrêter les abus et profanation qui se commettaient dans l’église et au dehors). Malgré cela, les fidèles isolés ne cessèrent pas de visiter la fontaine pour y trouver la guérison de leurs maux. Une preuve de la persistance du culte populaire, c’est la publication « l’an quatrième de la Liberté » (1792) d’une brochure contenant la « vie de Ste Quitterie dont on célèbre la fête le 22 Mai à Doumy », avec une hymne, une oraison et des litanies. La prière à Ste Quitterie est la suivante : « Bienheureuse Sainte Quitterie, qui avez mérité la gloire éternelle par votre pureté, par vos souffrances et par votre charité envers Dieu et envers le prochain, priez N. S. J.-C. de nous accorder la grâce d’imiter vos vertus. Intercédez pour nous auprès de Dieu, afin qu’Il nous délivre de nos maux corporels et spirituels, et que nous puissions servir ce même Dieu de cœur et d’esprit. Ainsi soit-il ».

La chapelle de Doumy fut restaurée dans la seconde moitié du dernier siècle et l’exercice du culte autorisé par Mgr. Ducellier (évêque de Bayonne 1878-1887). L’antique dévotion continue toujours d’attirer la piété des pèlerins, tant le jour de la fête qu’au cours de l’année.

La documentation nécessaire à cet opuscule m’a été aimablement fournie par M. le chanoine Laborde et par M. l’abbé Cazaunau, doyen de Geaune. H.W.

Imprimatur : Pau, le 29 avril 1958 Roger Paralieu, V.G.

Nihil obstat : J.SORRE Cens. Dep.